jeudi 24 septembre 2015

 
 -Je m'en vais-

 
Je m'en vais le long d'une ligne
de papier blanc
en équilibre sur un fil de lumière.
Il y a trop de souffrance.
Les nuages parlent entre eux
des hommes à la nuque raide
qui se déchirent.



Je m'en vais là-bas
mendiant troué
qui cherche une aiguille
pour tout raccommoder.



J'écris "cri" pour qu'il passe,
qu'il fasse lui aussi son chemin,
qu'il s'apaise à la gorge
vibrante d'un bouvreuil,
un cri qui s'étire
comme des mots sur le papier.

Je suis le cri qui se perd,
le cri qui s'éteint au fossé,
le cri qui voudrait tout recommencer,
la première heure, le premier regard,
la première aube où l'on se lève
tout ruisselant de sa naissance.

Je suis l'homme qui s'efface
à la gomme de son épuisement,
au bord de la dernière heure,
guettant le papillon qui
ignore le poids de ses ailes.

Je m'en vais avec une sacoche
de belles paroles incapables
de nourrir un homme.
Et pourtant elles brûlent à mon flanc,
elles me courbent vers les pierres
du chemin qui chuchotent leurs sarcasmes.

C'est le don qu'on ignore,
la fleur sèche oubliée
à l'arrière d'une voiture.
Paroles en l'air,
nuages dans le ciel,
il n'y a rien à en tirer.
C'est comme le fou.
Qu'il raconte sa folie aux arbres.
Ici, on est trop occupé.

Alors je m'en vais
m’enivrer de nuages,
me saouler de feuilles mortes.
Je déchiffre l'amitié des écorces.
Même les corbeaux sont délicats
à mon égard.

Je fais fuir les chats pervers
qui jouent avec leurs proies.
Je n'ai rien d'autre à dominer
que la nuit au rempart
qui cherche une trouée.

Je m'en vais loin

sur mon cahier ouvert
à la salutation du soir
avec un châle de douceur sur les épaules
et une voix de femme qui chuchote :
"ne te fais pas de mal !"

Je m'en vais.
C'est dangereux d'ouvrir une porte
que l'on a eu du mal à refermer.
J'épouse une pensée qui voit plus loin
que le bout de son nez.

Entre quatre murs
je découvre un continent
qui ne sent pas le renfermé.
Un océan se déverse par la fenêtre.
Mon stylo est la seule rame
d'une barque en papier.

Cela va mieux maintenant.
Le mal de mer vient quand on croit
qu'un bateau ne devrait pas bouger.

Je m'en vais par le flot emporté.
Un courant que j'ignore
décidera par lui-même
où cela doit mener.





samedi 19 septembre 2015

C'est ce matin.
Le vent d'ouest est calme.
Il pousse une multitude
de nuages apaisés. 

C'est ce matin
que je commence.

Il y a des commencements sans lendemain,
des commencements soufflets au fromage.
On voulait quelque chose.

Ce matin, je ne veux rien.
Je commence.

Je commence à voir des gouttes de pluie,
des perles d'argent sur les feuilles
du bouleau du jardin.
Ce sont les larmes d'avant l'automne.
Une mésange tête en bas
les recueille dans son bec.

Je commence à être chez moi.
La peur est l'étranger, ici.
C'est une folie de ne pas vouloir
habiter chez soi.

Je regarde les arbres du réservoir de Boudonville.
J'y vois quelques lueurs jaunes.
Ils sont chez eux, égaux à eux-mêmes.
Même pas peur de l'automne !

Je commence.
Je commence à me souvenir que je respire.
Cela fait du bien une bonne respiration.
Cela vaut un bol de café.

J'y ai pensé ces jours-ci
en remontant la rue
qui mène à la maison.
Je respirais de l'enfance
parmi quelques feuilles sèches
sur le trottoir, une odeur un peu âcre
mêlée d'humidité.

Je voyais le brouillard sur mes épaules,
cartable au dos et la joie de fumer
des cigarettes imaginaires de buée.

Oui, je commence
comme on écrit une lettre
que l'on veut absolument envoyer.

Malheur de ne plus naître.

J'ai saisi sur l'étagère une libellule,
presque intacte malgré sa fragilité.
Ce n'est plus qu'une forme de libellule.
Ces ailes ressemblent à des feuilles mortes
dont ils ne restent que des nervures.

Délicate libellule, où est ta vie ?

Je commence.
C'est comme si je disais,
je vis dans la forme de la libellule.
Et je croise d'autres libellules.
Nos ailes se frôlent.

On n'attrape pas une libellule,
seulement sa forme, parfois.

Ainsi est le rire des enfants
dans la cour de récréation
quand ils échappent au loup.

C'est ce matin la danse de la libellule
qui s'échappe toujours.

Je commence avec elle
entre pluie et soleil.


jeudi 10 septembre 2015

L'arbre se révèle
aussi ardent qu'il peut l'être
au regard des abîmes.


Chaque cellule de son bois
ou de ses feuilles
est en accord avec la caresse d'or
du jour qui bascule.


Pourquoi maintenant
se séparer de l'arbre
qui accueille aussi bien
le soleil que la grêle ?



samedi 5 septembre 2015

J'ai des mots pour écarter l'hiver qui vient.
L'écho du chant de deux femmes
m'accompagne.
Les arbres doivent retrouver
leurs feuillages frémissants
d'oiseaux et de vent.

J'ai des mots pour le ciel
qui se chargent de lanières
et de feu sans lumière.

J'ai des mots cailloux blancs
dans une forêt de rues
qui ont perdu leurs noms.
On y croise des visages
qui ont prêté serment
à leurs chaussures.
le regard qui ouvre
la porte du sourire
s'écoule au caniveau.

J'ai des mots émiettés
qui nourrissent les nuages,
ceux qui ont la blancheur
des neiges éternelles
et qui gardent l'or du levant.
Je les jette sur le papier
sans espoir de les revoir.

J'espère rester vivant
en criant mon vocabulaire.
La nuit monte par la fenêtre,
soulève le bureau de chêne
qui n'a plus rien pour s'accrocher.

J'ai des mots qui fuient
pour une plaie mal fermée.
Impossible de faire bonne figure.
Les miradors sont de retour.
On donnera à manger des poèmes
aux chiens-loups qui font la ronde
au pied des murs en barbelés.

J'ai des mots qui pleurent
avec les enfants de hall de gare
qui regardent passer
des voitures noires
aux vitres fumées.

J'ai des mots doux
comme le chant de deux femmes
qui apaisent le cauchemar
sans fin de la violence.

J'ai des mots qui brûlent aussi,
des mots acides
pour la peau froide des lézards
qui profitent de la chaleur
et s'enfuient au moindre danger.

J'ai de mots de guerre
car il faut parfois l'épée
pour trancher à vif
les têtes de l'hydre
qui aime le secret.

J'ai des mots qui éclatent à peine nés,
des mots bulles, pour rien,
qu'on ne doit pas toucher,
des mots à foison
dont on peut faire moisson,
des mots à pleines brassées
qui débordent et se donnent,
des mots d'embrassades
et de cavalcades,
des mots sans queue ni tête.

J'arrache les pages du dictionnaire.
J'ouvre ma chemise pour qu'on y voie
ce poitrail de mots prêt à se déverser.

Mais je n'ai pas de mots rentables.

Tout cela n'est rien,
à peine de la salive
et de l'encre mélangés.

Ce sont des mots offerts,
des mots plumes
sur la branche pourrie d'un monde
qui finira par s'écrouler.






mardi 1 septembre 2015

La jarre ne se videra point.
L’épervier a cette confiance.
Il étend seulement ses ailes
sur la nappe du ciel.
Qu'est-ce qui l'emporte ainsi
au dessus des champs ?
Le moindre souffle suffit.

Tout corridor a un début et une fin.
Son ombre appelle.
On y est ébloui de noir,
puis avec l'habitude
une lumière s'y diffuse.
Aussi resserrés soient les murs,
il suffit d'avancer tout droit.
Étrange pérégrination.

Garder en tête une ritournelle
dans cette marche à tâtons,
ce peut être une aide
quand le jour se fait attendre.
Même le souvenir
de la saveur d'une fraise,
s'en oindre l'âme.

Et puis marquer à la craie
dans sa mémoire
tout ce qui laisse pantois,
le ah ! le oh !,
l'improviste,
toutes effractions
qui viennent bousculer
le teint livide que prend
si facilement une journée.

Le pâtre conjugue
la force du bélier
avec sa docilité.
Se laisser mener
mais dans l'éclair
d'une décision irrévocable,
c'est le seul apaisement.

On roule au ravin
avec insouciance
mais on se réveille
ensanglanté,
Tout s'est refermé
comme certains mimosas
qui se rétractent au toucher.
Où trouver le refrain,
l'huile sur les plaies ?

Les cirrus filaments
dans un ciel saphir
sont invitation
à la légèreté du tracé.
L'illusion dégringole
le réel est déjà plus loin.